CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU CONGO


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APPEL À LA RECONSTRUCTION : MARS 1994

vendredi 5 juin 2020

PAROLES D’ÉVÊQUE N° 10
22ÈME ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE À DOLISIE, LE 20 MARS 1994

Chers fidèles et hommes de bonne volonté,

1. Notre pays vient de vivre des moments douloureux. Le processus démocratique tant souhaité par tous a connu des dérapages sanglants. Nous avons eu à le dénoncer à diverses occasions. Diverses associations de femmes ou de jeunes, des parlementaires se sont investis dans la recherche de la paix. La rencontre des députés du Pool et des « pays du Niari » a été une amorce sérieuse du processus de paix, malgré les difficultés de ce processus.

2. La lutte pour la paix doit se poursuivre. Et même si les armes se taisaient réellement, un énorme travail reste à faire, celui de reconstruire le tissu social sérieusement déchiré par ces mois de haine fratricide. En décembre 1993, depuis Paris, nous disions avec amertume : « Les chrétiens dans ces moments sombres de notre histoire, ont brillé par leur silence, leur complicité, bref, par leur démission ». Mais pleurer et se lamenter ne suffisent pas, il faut agir. C’est ce que nous disions déjà en août 1993 : « Nous n’avons pas non plus à nous contenter de pleurer sur nos ruines, mais plutôt à rechercher des voies et moyens pour reconstruire. Il s’agit de redonner confiance aux uns et aux autres par des actes concrets de solidarité, pour favoriser la réinsertion ».

3. Ces paroles sont encore d’actualité. La mission des chrétiens, Laïcs et Clergé, est importante dans ce processus de reconstruction du tissu social. Les mots ne suffiront pas. Il faut une réflexion engagée qui aboutisse à des actes concrets de reconstruction et qui mobilisent toutes les énergies. C’est ce à quoi nous, vos Pasteurs, voulons vous inviter dans cette réflexion plus pratique que théorique.

I. UNE FOI ACTIVE

«  Si quelqu’un dit : “j’aime Dieu" et qu’il n’aime pas son frère, c’est un menteur  » (1 Jn 4, 20).

4. Le mensonge prend aisément racine au cœur même de notre vie spirituelle : nous nous contentons de croire en Dieu et de Lui adresser des prières. Or l’Écriture le dit clairement : une foi qui ne débouche pas sur des actions charitables est un leurre, elle n’aboutit pas au salut. Pour l’Évangéliste Mathieu, c’est la charité vécue au quotidien à l’égard du prochain qui est le critère de notre destinée éternelle (cf. Mt. 25, 31-45). Notre assiduité à la prière, certes nécessaire, ne peut suffire. La charité, c’est le cœur de la vie de foi et sa valeur est éternelle aux yeux de Dieu (1 Co 13).

5. La foi qui se fait charité, ne consiste pas seulement en des actions personnelles, venant en aide à un frère ou à une sœur. Elle a une dimension sociale et collective.

Le travail, le développement de notre pays, l’hygiène, la propreté de notre environnement (village, maison, parcelle, rue, école, hôpital), voilà autant de réalités que nous voudrions vous voir considérer comme authentiquement chrétiennes. Beaucoup de chrétiens pensent que leur vie de foi commence et se termine avec les sacrements et la prière du dimanche. Non. Leur travail intellectuel et manuel, leur participation locale à la propreté, au développement, ce sont là aussi, des activités fondamentales d’une foi équilibrée.

6. Aujourd’hui, l’Église nous rend davantage attentifs au péché social. Le chrétien qui ne cherche pas à travailler mais à s’installer dans l’oisiveté, qui n’a pas le souci du bien de son pays, qui n’a cure de la propreté de son quartier, qu’il sache qu’il ne respecte pas la volonté de Dieu et qu’il s’enferme dans le péché.

7. Les conflits politiques et sociaux que notre pays vient de connaître sont un cri adressé à notre conscience chrétienne. La vérité de notre foi exige de notre part une action efficace pour la réunion des familles séparées à cause de leur pluralité ethnique. Nous devons être des agents de réconciliation entre parents devenus ennemis. Nous devons œuvrer pour l’avenir des enfants et plus particulièrement ceux qui sont devenus orphelins dans ces combats fratricides. C’est dans ce travail de réconciliation nationale que Dieu nous attend. S’il ne nous y trouve pas, vaine est notre foi (cf. Jacq. 2, 18-20).

8. La dévaluation que vient de connaître notre monnaie est venue aggraver notre désarroi. Il ne nous appartient pas d’en juger l’opportunité ou non, mais Église se doit, de par sa responsabilité, de participer activement à l’amélioration des conditions de vie du peuple congolais. Aussi, nous vous demandons de réfléchir, de méditer et de prendre les décisions qui s’imposent pour rendre votre foi plus active et conforme à la volonté de Dieu.

9. Pour notre part, voici quelques orientations que nous voulons vous soumettre :

- Que chaque paroisse, chaque groupe d’apostolat, chaque dibundu organise des actions sociales (propreté, nettoyage des rues, amélioration des écoles...) et crée des petites entreprises, plantations, élevages, métiers de toutes sortes. Nous demandons à tous les responsables de l’Église de considérer cela comme une des priorités pastorales.

- Que les Caritas se développent à tous niveaux (national, diocésain, paroissial). Leur mission est de transformer notre Église pour qu’elle devienne, d’une manière plus visible, une vaste entreprise de charité, de développement et de promotion humaine.

- Que dans les groupes de prière et toutes les communautés des quartiers, de villages, il y ait une commission caritative qui vienne en aide aux plus pauvres d’entre nous.

- Que chaque groupe de jeunes, chaque paroisse soit une École ; qu’on y apprenne non seulement à prier, mais aussi à devenir des hommes responsables. Que la discipline, la ponctualité, la politesse, le travail, le respect du prochain et l’attention aux autres soient des valeurs qu’on y enseigne et qu’on y pratique.

Notre désir le plus cher, c’est que notre Église devienne, au sein de notre pays, un instrument actif au service de la dignité de tous les Congolais.

II. LES VALEURS MORALES DE RECONSTRUCTION

10. La Conférence Nationale Souveraine avait bien compris que la débâcle du Congo qu’elle voulait diagnostiquer était avant tout spirituelle et morale avant d’être économique et politique. L’avenir qu’elle voulait construire ne serait rien sans valeur morale et spirituelle. Aussi faut-il prendre comme leitmotiv ces trois commandements :

  • tu ne tueras pas (Ex 20, 13 ; Dt 5,17) ;
  • tu ne voleras pas (Ex 20, 15 ; Dt 5,19) ;
  • tu ne mentiras pas (Ex 20, 16 ; Dt 5, 20).

Il n’est pas possible de reconstruire le Congo sans poser la question du socle sur lequel va reposer cet édifice nouveau que l’on veut bâtir.

11. Dans l’Ancien Testament, le message des prophètes a été constant à ce propos. La débâcle du peuple est avant tout un problème spirituel et moral avant d’être un problème de stratégie diplomatique et militaire. Un seul mot résume, pour les prophètes, le désastre du peuple : l’infidélité : infidélité à Yahvé, qui signifie en même temps mépris de son frère. Aussi le remède proposé à ce désastre est la conversion : « Lavez-vous, purifiez-vous ! Ôtez de ma vue vos actions perverses ! Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien ! Recherchez le droit, redressez le violent ! Faites droit à l’orphelin, plaidez pour la veuve ! » (Is 1,16).

12. Jésus viendra nous révéler que le mal est présent dans le cœur de l’homme quand II affirme : « c’est du dedans, du cœur des hommes que sortent les desseins pervers : débauches, vols, meurtres, cupidités, méchancetés, ruse, impudicité, envie, diffamation, orgueil, déraison » (Mc 7, 21-22).

C’est donc le cœur de l’homme qu’il faut d’abord transformer. Il faut l’éduquer aux Droits de l’homme, à la vérité, à la valeur du travail. Il est impossible de reconstruire le tissu social sans revenir aux Droits de l’homme qui sont le fondement de toute Démocratie. Ces droits supposent entre autre :

- Le respect de toute personne humaine, en toute circonstance. Créé à l’image de Dieu (Gn 1, 26-27), l’homme a droit au respect et à la vie. Ainsi, la torture, le meurtre, le viol, la destruction des biens d’autrui sont autant d’atteintes à la dignité humaine. Cette violence multiforme déforme autant le visage du bourreau que celui de la victime.

- La liberté : créé à l’image de Dieu, l’homme est un être capable d’amour et de liberté. Chacun a le droit d’aller et d’habiter où il veut, de s’exprimer, d’avoir ses opinions politiques. L’intolérance, la censure, le mensonge et la manipulation des consciences sont des atteintes graves à la liberté.

- L’égalité de tous les citoyens. En effet quelle que soit leur appartenance ethnique ou politique, tous sont fils d’un même Père qui traite ses enfants de manière équitable : « Il y a un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous » (Ep 4, 6).

13. Le mensonge, la malhonnêteté, le vol sont autant de maux qui déchirent le tissu social. Il faut donc réapprendre les attitudes et le langage de la vérité qui libèrent, la fraternité vraie et le sens du bien commun.

L’oisiveté est la mère des vices, de la facilité, de l’installation dans le crime. Paul dit que l’oisiveté entraîne souvent une vie désordonnée. Aussi dit-il : « si quelqu’un ne veut pas travailler qu’il ne mange pas  » (2Thess. 3, 10). Il faut donc rééduquer à la générosité par le sens du travail, de l’assiduité, de la conscience professionnelle.

14. Le travail est un droit pour tous. Il mérite juste rémunération. Tout le monde ne peut pas être fonctionnaire. Mais beaucoup peuvent exercer une activité qui peut les aider à vivre et qui contribue au développement du pays. Nous savons que chacun ne pourra pas trouver un emploi rémunéré. Toutefois nous vous encourageons à l’esprit d’initiative, au travail de la terre et à la mise en commun des aptitudes de tout un chacun.

15. Toutes ces valeurs ne viendront pas de manière spontanée. Il faut une éducation ou une rééducation dans tous les lieux de formation (école, groupe, paroisse, maisons de formation de toutes sortes). Mais la famille est le lieu privilégié pour la redécouverte de ces valeurs. Ce qui suppose de donner à la famille toute son importance, de cultiver les valeurs familiales d’amour, de responsabilité, de solidarité, de respect, de travail.

III. JUSTICE ET PAIX

16. « Éloigne de moi le cri de tes cantiques...mais que le droit coule comme l’eau, et la justice comme un torrent qui ne tarit pas » (Am 6, 23-24). Les prophètes ont fait de la justice et de la paix les signes de la présence de Dieu au milieu de son peuple. Si l’injustice et la désunion ont droit de cité dans les familles, au milieu du peuple, alors la gloire de Dieu ne peut pas y reposer.

17. Jésus Lui-même, Seigneur de la justice et de la paix, avait fait cette promesse à ses Apôtres : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » (Jn 14, 27). Si donc la justice et la paix sont des dons précieux que Dieu nous fait, il est important pour notre Église de s’interroger sur l’usage qu’elle en fait pour obéir à son divin fondateur.

18. Le Royaume de Dieu n’est pas seulement une réalité céleste future. Il est déjà présent au cœur du monde, aujourd’hui, et il s’y donne à voir notamment à travers ces valeurs universelles que sont la justice et la paix. Voilà pourquoi nous voudrions tout simplement vous inviter à inscrire dans le concret de notre société congolaise de ces belles béatitudes qui, si elles étaient vécues par tous les baptisés, suffiraient à elles seules à transformer notre pays :

19. « Heureux les affamés et assoiffés de justice » (Mt 5, 6). Il n’y a pas de société démocratique sans respect des lois, plus particulièrement celles qui défendent les droits et la dignité de la personne humaine. La défense des droits de l’homme fait partie intégrante de l’existence chrétienne. « Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).

20. Toute atteinte à la dignité de la personne humaine ((arrestation arbitraire, torture, viol, vol, pillage...) est une atteinte à la personne même du Christ. Il n’est pas sûr que cette vérité nous ait toujours habitée, malheureusement.

21. Voilà pourquoi’ nous vous demandons de mieux vous informer sur la nature des lois démocratiques pour pouvoir mieux les respecter. Notre Démocratie sera toujours titubante si elle ne se construit pas sur le respect total du droit et de la constitution, et cela de la part de tous citoyens congolais. Vous baptisés, vous devez être les champions du respect du droit et de la recherche de la justice, et cela au nom même de votre foi.

22. « Heureux les artisans de paix » (Mt 5, 9). La paix n’est pas seulement absence de guerre. Elle suppose une activité constante pour créer des liens d’amitié et de solidarité entre les membres d’un même pays, d’un même village, d’un même quartier, d’une même famille. Chaque baptisé doit être « un créateur de liens », plus particulièrement entre congolais d’ethnies différentes. Reconstruisez des couples interethniques. Fondez des associations interethniques, et c’est ainsi que nous créerons une société de paix, une véritable Nation. La paix est à construire chaque jour dans chaque famille, chaque quartier, chaque école, chaque paroisse. C’est à ce prix que le Congo gagnera définitivement la guerre.

23. Nous sommes convaincus : sans la justice et la paix, considérées comme des dons de Dieu, notre pays ne pourra se reconstruire. C’est donc un devoir chrétien, pour chaque baptisé, d’être artisan de justice et de paix. Pour nous aider à affronter ce défi, nous demandons qu’il y ait, au niveau national, diocésain et paroissial, une structure « Justice et Paix » chargée de promouvoir ces deux valeurs sociales évangéliques. Son travail doit se faire « à la base », dans les quartiers et les villages. Sa mission consiste à :

- faire rencontrer, se connaître, les chrétiens qui vivent dans les mêmes zones. Ces rencontres peuvent se faire au niveau œcuménique et être ouvertes à toute personne de bonne volonté ;

- conseiller, réconcilier ;

- réfléchir sur les injustices locales, les droits bafoués pour pouvoir agir afin de consolider la justice et la paix.

24. Nous voulons aussi une présence plus active des chrétiens dans les hôpitaux, les prisons. Un malade, un prisonnier a le droit d’être considéré comme un homme, un citoyen comme les autres et doit être traité comme tel. En ces lieux, les groupes « Justice et Paix » doivent s’investir pour faire triompher les droits de ceux qui souffrent le plus.

25. Enfin, nous voudrions rappeler ce que nous n’avons cessé de vous dire, depuis trois ans. Nous vous encourageons, vous les laïcs chrétiens, à vous engager dans toutes les structures de la société (politiques, économiques, culturelles, éducatives...). C’est votre rôle, votre fonction. Soyez dans les partis politiques, soyez dans les syndicats, soyez dans toutes les diverses associations professionnelles, scolaires, sportives...

Mais ne l’oubliez pas : vous devez y être en chrétien ! N’y cultivez pas - comme c’est malheureusement trop souvent le cas - des sentiments tribalistes, belliqueux, égoïstes. Mais au contraire, vous devez y inscrire toutes les valeurs évangéliques en vous opposant à toute perspective de désunion et de vengeance. Ainsi, nous serons sel de la terre et lumière du monde (cf. Mt. 5,13-14).

CONCLUSION FINALE

Cher frère, chère sœur,

  • Tu ne peux croire sans aimer ;
  • Tu ne peux aimer en mentant, en tuant, en volant ;
  • Tu ne peux être chrétien sans être artisan de paix et de justice.

Ces quelques mots simples, sont tout un programme ! Suis-le et tu seras heureux de vivre dans un pays d’amour, de justice et de paix.

22ème Assemblée Plénière à Dolisie, le 20 mars 1994

LES ÉVÊQUES DU CONGO

1. Mgr. Barthélémy BATANTU, Archevêque de Brazzaville ;
2. Mgr. Bernard NSAYI, Évêque de Nkayi, Administrateur Apostolique de Pointe-Noire, Président de la CEC ;
3. Mgr. Ernest KOMBO, Évêque d’Owando ;
4. Mgr. Hervé ITOUA, Évêque de Ouesso ;
5. Mgr. Anatole MILANDOU, Évêque de Kinkala.

 

 


 
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